Si le lecteur sait dès le sixième chapitre que Darcy s'intéresse à Elizabeth, elle ne s'en rend absolument pas compte[107]. Elle a passé toute sa vie à Longbourn. Ce mariage a quelque chose de subversif, et en même temps de tout à fait conventionnel puisque, en dépit de son indépendance d'esprit, Elizabeth, en fille responsable, se marie au-dessus de sa condition, et assure sa sécurité financière et son ascension sociale[218]. Il faut ajouter le chemin qui mène de Longbourn à Lucas Lodge, où Elizabeth avoue à Darcy que ses sentiments pour lui ont totalement changé. Il convainc Mr Bingley de quitter Netherfield,et les rêves de l’aînée des Bennet s’écroulent. Laissez-moi vous dire avec quelle ardeur je vous admire et je vous aime », « Il s'engagea dans l'aveu… Il parlait bien… », « avec toute l'ardeur et la tendresse qu'un homme passionnément épris est supposé manifester », He expressed himself as sensibly and as warmly as a man violently in love can be supposed to do, « Je voudrai pouvoir affirmer pour le bonheur des siens que la réalisation inespérée de son plus cher désir […] a eu l'heureux effet de rendre Mrs Bennet aimable, discrète et judicieuse pour le reste de sa vie… », « bien qu'[il] déteste écrire, pour rien au monde [il] n'interromprait sa correspondance avec Mr Collins », « Comme vous allez être riche et considérée ! Ainsi, trois phrases suffisent à décrire la scène qui se joue à Longbourn, quand les Bingley apportent en personne l'invitation au bal[146]. Il y a du cynisme dans sa remarque sur la « demi-douzaine (seulement) de femmes réellement accomplies » parmi ses connaissances[97]. Les événements sont clairement inscrits dans le passage des saisons[116] et le cycle saisonnier rythme l'action et l'évolution des personnages. Il n'est donc pas étonnant que Lady Catherine de Bourgh, si chatouilleuse sur la notion de rang, de relations et de fortune, souhaite unir sa fille et son neveu pour réunir les biens et renforcer les liens ancestraux de leurs deux familles, et que Charles Bingley, dont la fortune est d'origine roturière, envisage d'acheter des terres et de construire un manoir pour achever sa promotion sociale[177]. Mrs Bennet recommence à trouver Darcy « charmant », après l'avoir longtemps traité de « disagreeable », quand elle apprend qu'Elizabeth va l'épouser, et ne voit que l'aspect matériel de ce mariage et le luxe qu'il va procurer à sa fille : « Comme vous allez être riche et considérée ! Elizabeth a « toujours été persuadée que des ressources aussi modestes que [celles des Wickham] seraient insuffisantes entre les mains de deux personnes aussi prodigues et aussi insouciantes de l'avenir »[81]. « Seule son aversion pour la dépendance les a empêchés de dépenser plus que leurs revenus ». Les aînées, soucieuses de l'éducation de leurs jeunes sœurs[N 78], ont assumé le rôle abandonné par leurs parents, et s'appuient l'une sur l'autre : « Jane s'est conditionnée » à ne jamais mal juger, « pour ne pas avoir à se confronter à des attitudes trop pénibles à affronter chez ses parents »[70]. Le mariage de Jane n'est rien à côté, rien du tout ! Le coût du mariage-replâtrage de Wickham et Lydia est aussi détaillé : paiement des dettes (beaucoup plus que 1 000 livres, selon Mrs Gardiner), achat de la charge d'Enseigne dans l'armée régulière (entre 500 et 1 500 livres selon les régiments) pour lui[170], un petit pécule pour elle (le tout payé par Darcy) et les 100 livres annuelles à la charge son père, ce qui est à peine plus que ce qu'elle dépensait déjà à la maison, mais qui écorne sérieusement les 5 000 livres du capital réservé aux filles par le contrat de mariage[180]. Hurst, gentleman sans fortune, a épousé la riche mais très roturière Louise Bingley (20 000 £ de dot)[N 64]. Les Gardiner viennent passer Noël chez les Bennet et repartent avec leur nièce Jane à Londres où ils habitent[53]. « Elle est d’une vive intelligence , d’une sagess… Elle ne manque d'ailleurs pas d'une certaine habileté pratique pour parvenir à ses fins. Caroline, qui loue les talents de Georgiana Darcy, si gracieuse et si bonne pianiste, fait la liste des arts qu'il convient d'étudier : musique, dessin, danse, langues étrangères (essentiellement le français, à l'époque) y ajoutant ce « je ne sais quoi » dans la démarche et les manières qui est la marque de la parfaite élégance. Sans doute cependant sa description de l'ouvrage est-elle trop succincte et peu convaincante, puisque sa lettre lui revient avec la mention « refusé par retour du courrier » (declined by Return of Post)[24]. On continue après ce refus à relire souvent le manuscrit en famille, puis il reste en sommeil pendant une quinzaine d'années jusqu'à la publication et au succès d'estime de Sense and Sensibility (Raisons et Sentiments), en 1811. Ainsi, après avoir fermement refusé Darcy à Hunsford, Elizabeth a-t-elle des relations beaucoup plus aimables avec lui à Pemberley, et accepte finalement d'épouser celui qu'elle tenait au début en si grand mépris, trouvant désormais « parfaitement aimable »[N 76] l'homme qu'elle avait « résolu de détester », comme le souligne ironiquement la narratrice[142]. « Emporté par le flot de [ses] sentiments », il est d'un parfait ridicule, car, à travers lui, l'autrice se moque du langage convenu et passionné des romans sentimentaux[129]. Il fait une brève analyse de Orgueil et Parti Pris dont « les personnages n'ont rien d'exceptionnel, sinon la puissance avec laquelle ils sont créés par l'artiste qui s'en amuse ». Survient alors l’officier Wickham, un militaire séduisant qui ne laisse pas Elizabeth indifférent. Mr Collins est un jeune clergyman peu séduisant, peu intelligent, mais sûr de lui, pompeux et prétentieux. À ce titre, la première phrase du roman est aujourd'hui « universellement connue »[N 39] : « It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune, must be in want of a wife » (« c'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit forcément être en quête d'une épouse »), par la façon incisive et ironique à la fois dont Jane Austen entre immédiatement dans le vif du sujet. L'incipit du roman en forme de maxime (« C’est une vérité universellement reconnue qu’un jeune homme qui a de la fortune doit chercher à se marier… ») semble annoncer les stratégies mises en place par les familles pour résoudre les difficultés pécuniaires de leurs filles désargentées en leur procurant un beau parti[174], mais dans Orgueil et Préjugés le thème du mariage est surtout traité sous l'angle du bonheur et de l'épanouissement personnel, celui de l'héroïne plus spécialement, qui, désireuse de faire « le bon choix »[195], affirme à Lady Catherine : « Je suis résolue à agir de la manière qui me permettra d'assurer mon propre bonheur, sans tenir compte de vous ou de toute personne n'ayant aucun lien avec moi »[196], montrant l'indépendance d'esprit d'une « créature rationnelle »[N 60], décidée à ne pas se laisser mettre à la place où voudrait la reléguer la noble Lady très attachée au concept d'une société endogame et considérant que le statut social est plus important que les mérites personnels[197] : en épousant la fille d'un avoué et la sœur d'un négociant, Mr Bennet a, en quelque sorte, dérogé : « Oui, vous êtes la fille d'un gentleman, mais qu'était votre mère ? La notion d’accomplishments est d'ailleurs toute relative. Elle pense que les relations et la situation sociale de Mr Collins lui apporteront des « chances de bonheur que tout le monde ne trouve pas dans le mariage »[88]. Elle-même n'y a vu que « la photographie exacte d'une figure banale, un jardin parfaitement entretenu, soigneusement clôturé, aux bordures nettes, avec des fleurs fragiles ; mais pas l'once d'une physionomie lumineuse et enjouée, pas de campagne ni d'air frais, ni de collines bleues, ni de plaisant ruisseau ». Elle a soif de statut et un caractère intéressé[80] : elle aimerait que son frère épouse Georgiana Darcy, ce qui faciliterait le mariage dont elle rêve avec Mr Darcy, et sacrifie volontiers l'amitié condescendante qu'elle éprouve pour Jane, afin d'empêcher son frère de la revoir lorsqu'elle séjourne à Londres. ». Résumé de l’oeuvre : Orgueil et préjugés est le roman le plus populaire de Jane Austen. Les filles Bennet auront maintenantbien du mal à trouver un époux et jamais Mr Darcy ne consentira à s’unir avecla sœur d’une femme perdue. Elizabeth l’éconduit avec fermeté, en lui reprochantson orgueil, mais aussi sa responsabilité dans le malheur de sa sœur Jane etson comportement vis-à-vis de Wickham. Wickham dénigre ouvertement Darcy maintenant que ce dernier est parti. En effet, comme d'ailleurs dans la plupart des romans de Jane Austen, deux thèmes essentiellement, le mariage et l'argent, s'entrecroisent, car le mariage est alors, pour les femmes de la classe sociale de Jane Austen[169], la façon normale, presque la seule, d'assurer leur situation financière : si une femme n'a pas de fortune personnelle capable d'intéresser un gentleman (éventuellement désargenté), il est impératif pour elle d'épouser un homme ayant des revenus confortables. Ses joutes verbales avec Elizabeth sont brillantes, en particulier celle, à la limite de la stichomythie, où ils définissent ce dont on peut, ou non, rire[152] : sa critique voilée de la propension d'Elizabeth à se moquer, lorsqu'il lui dit que « le plus sage et le meilleur des hommes peut être tourné en ridicule par quelqu'un qui ne songe qu'à plaisanter »[C 13], entraîne de la part de cette dernière une vive défense de la satire, où il est possible de voir le point de vue de la narratrice[152] : « J'espère que ne tourne jamais en ridicule ce qui est sage ou ce qui est bien. Cependant l'arrivée des Gardiner pour Noël permet d'évoquer Pemberley avec Wickham, et le mariage de Charlotte en janvier entraîne l'invitation d'Elizabeth à Hunsford, au printemps[N 35]. Orgueil et préjugés (Les cinq filles de Mrs. Bennet) Édition de référence : Paris, Librairie Plon, 1932. Même s'ils se séparent assez mécontents, le fait qu'Elizabeth ait enfin accepté de danser avec lui autorise la perspective d'une union[188]. One of the first private seminaries in town, D'après John Halperin, elle ressemblerait beaucoup à la Douairière Lady Stanhope, une « vieille dame plutôt énergique », Fitzwilliam est le nom de famille du colonel, dont le prénom n'est pas précisé. Et … Le succès est plus grand que celui de Sense and Sensibility et la première édition de 1 500 exemplaires est épuisée au bout de six mois. Cette aristocrate habituée à tout régenter d'une voix impérieuse et donnant son avis sur tout d'un ton qui ne supporte pas la contradiction, est un personnage assez caricatural. Mais Elizabeth reçoit des nouvelles alarmantes de Longbourn : Lydia s'est enfuie avec Wickham. […] Êtes-vous certaine, vraiment certaine d'être heureuse avec lui ? Ils le décrivent comme un hommegénéreux et bon. Dans cette société pragmatique beaucoup d'autres personnages raisonnent comme elle : Mr Collins ne peut comprendre le refus d'Elizabeth[174], dont il connaît parfaitement la pitoyable situation financière personnelle : 1 000 livres de dot, soit un revenu de 40 livres par an. Jane Austen fait simplement remarquer à sa sœur Cassandra, dans la lettre datée du 29 janvier 1813, qui contient ses premières réactions sur l'ouvrage imprimé, qu'elle a « si bien réussi à élaguer et tailler » son manuscrit (selon son expression « I have lop't and crop't so successfully »)[24] qu'elle « pense qu'il doit être plutôt plus court que Sense and Sensibility ». Drôle et romanesque, le chef-d'œuvre de Jane Austen continue à jouir d'une popularité considérable, par ses personnages bien campés, son intrigue soigneusement construite et prenante, ses rebondissements nombreux, et son humour plein d'imprévu. Virginia Woolf la compare à Shakespeare. Elle travaille beaucoup son piano, mais, n'ayant « ni génie ni goût », joue comme elle parle, de façon pédante et ampoulée[72].